Le texte de l'artiste
Le roman Le Ravissement de Lol V.Stein de Marguerite Duras a profondément nourri ma réflexion sur la manière dont les souvenirs se recomposent, se transforment et s'impriment en nous.
Ce roman témoigne de la vie de Lol, jeune femme née dans la ville de S. Tahla, se faisant abandonner par son mari un soir de bal. Des années plus tard, elle semble avoir « oublié » ce moment, cependant elle cherche délibérément à retrouver les sensations vécues ce soir-là. Elle déambule seule dans la ville, à la recherche des traces de cet instant, cherchant les mêmes odeurs, les mêmes intensités de lumière, les mêmes visages présents afin d'essayer de revivre une seconde fois ce moment.
Dans ma pratique, je m'inspire de ces mêmes enjeux : dans cette démarche de réactiver des événements, des lieux marquants pour moi, de retranscrire des histoires à travers mes matériaux, de donner une seconde vie au souvenirs de mes grands parents en essayant de les reproduire. Je matérialise ces notions par le biais de la sculpture, l'édition, ou la photographie.
J'ai exploré différentes pistes depuis ces trois ans, certaines autour du corps, du vivant, ou même autour de la recherche de matière. Mais peu à peu, ma pratique s'est recentrée sur une approche plus intime. C'est en cherchant dans les vieilles photographies de mon grand-père, et en essayant de me remémorer ne serait-ce que la voix de ma grand-mère, que j'ai développé cette pensée.
Aujourd'hui, elle se construit autour de questionnements en lien avec des notions de mémoire familiale, d'héritage, de transmission et de disparition.
Mon projet de diplôme naît de cette nécessité de renouer avec mes souvenirs d'enfance, d'essayer de trouver un échos à ceux de mes grands-parents tout en transmettant plastiquement cette relation que j'entretiens aux récits intimes et silencieux, à ces recompositions d'images mentales qui me reste, et ces questions d'héritage notamment celui de la couture transmis par ma grand-mère.
Mes productions plastiques s'inspirent de ces sentiments, je crée pour me rapprocher au maximum de ces sensations, pour me souvenir de chaque instant, et pour réactiver ces images qui risquent de se perdre. Cette exploration de l'intime ne se ferme pas sur elle-même, elle propose au regardeur de devenir une présence face à ces fragments d'histoires passées.
La critique de Chute Libre
Il ne manquera à personne de voir que le travail d’Elsa Kovalenko nous plonge dans un univers bien marqué. Pourtant, c’est son accessibilité qui le rend sensible.
En jouant avec différentes esthétiques, Elsa emmène le public dans un espace propre à la fois intime et commun. L’espace devient alors onirique, et les murs se transforment en moment, marqué de temporalités plurielles, au travers de ses yeux et des yeux de ses ancêtres. C’est avec douceur et élégance qu’Elsa reprend les clichés de ses albums de famille, pour nous les faire valoir, et se les réapproprier dans un champ visuel unique et contemporain.
Cette marque de famille qu’est la photographie, elle la décline aussi en vidéo, en imaginant poétiquement les espaces à travers ses souvenirs, mais aussi de l’anémoïa, cette nostalgie d’un moment que l’on n'a pas vécu. Avec donc beaucoup de nostalgie, Elsa cherche à apporter à sa propre souvenirothèque des images et des sensations que d’autres ont vécu, en particulier ses grands-parents pour qui elle voue une admiration sans faille.
Le champ visuel du travail d'Elsa nous plonge dans un espace de pensée, où l'on se retrouve avec soi-même, et avec l'artiste. Le déclinement des médiums utilisés nous permet de nous balader irréellement dans l'espace, et d'entrevoir les sensations que l'artiste à vécue. Ce qui est intéressant, c'est la puissance des symboles qu'elle utilise : le tissu et les rideaux de dentelle forment à eux seuls un espace narratif fort, qui est agrémenté d'éléments du jardin comme des fleurs, du parfum à base de fleur et des images/vidéos. On plonge dans une autre époque, sans pour autant s'en sentir en dehors. C'est comme si on retrouvait la maison de nos propres grands-parents et qu'on décidait d'y retourner jouer une dernière fois. C'est aussi cette idée d'événement passé que l'on ressent et qui forge solidement la place de la nostalgie dans cette installation.
Avec son installation, Elsa nous rappel que les moments ne sont pas infini, mais que les souvenirs restent, et qu'il faut les raviver chaque jours.
12/07/2025